Jordan Pinel est géographe, chercheur post-doctorant à l’Institut national d’études démographiques, affilié à l’université de Poitiers et spécialisé en géographie, retraite, migrations et mobilités. Il a soutenu sa thèse sur la migration des retraités français vers le Maroc dans la région du Souss-Massa. Il s’intéresse également aux notions d’hospitalité et d’accueil dans les contextes migratoires.
Bonjour Jordan Pinel. Vous êtes post-doctorant à l’Ined et chercheur associé à l’Institut Convergences Migrations et membre associé du laboratoire MIGRINTER. Votre recherche soutenue par la Croix-Rouge française et la Fondation CRf porte sur les différences de l’accueil en milieu rural et dans les grandes villes. Pouvez-vous nous fournir un aperçu du contexte social dans lequel s’inscrit votre recherche, ainsi que votre problématique de recherche?
La guerre en Ukraine a entraîné un afflux de réfugiés fuyant le conflit vers la France. Depuis février 2022, les Français, notamment dans les territoires ruraux, ont répondu avec un élan de solidarité remarquable en offrant notamment leur hospitalité privée. Selon le Comité interministériel des ruralités le terme “rural” désigne : les communes peu ou très peu denses, à partir de la grille communale de densité de population de l’INSEE.
Un grand nombre d’accueils se sont ainsi déroulés dans les petites villes et campagnes de France. Des zones excentrées confrontées à des difficultés spécifiques, notamment les difficultés de transport qui sont un frein à l’emploi, à l’accès aux commerces ou encore aux infrastructures publiques telles que les écoles ou encore les centres de santé.
Si depuis 2022 et dans la majorité des cas, les réfugiés sont retournés en Ukraine ou se sont installés ailleurs en France et en Europe ; cette mobilisation citoyenne soulève des questions sur les espaces géographiques les plus propices à l’accueil des réfugiés en France.
Dans ce contexte, ma problématique est la suivante : Quels sont les besoins des réfugiés ukrainiens en zone rurale et comment ces besoins influent-ils l’évolution de l’accueil et de la solidarité des citoyens dans les campagnes françaises ?
Pouvez-vous partager les principales conclusions ou découvertes de votre recherche, et en quoi ces résultats représentent-ils une avancée pour mieux comprendre et mieux agir?
L’accueil en milieu rural provoque une perte d’autonomie des réfugiés. Les personnes accueillies dans les petites villes ou campagnes deviennent rapidement dépendantes des citoyens pour se déplacer. Une solidarité qui peut être mise à rude épreuve dans le temps. C’est notamment pour cela que les villes sont les espaces privilégiés d’accueil des réfugiés en France.
Une charge mentale et émotionnelle des familles accueillantes exacerbée par le contexte géographique et le manque d’information. Elles expriment souvent un sentiment d’impuissance et une aide très limitée de la part de l’État ou des différentes associations pour gérer les besoins quotidiens tels que les courses, les démarches administratives, la recherche de logement ou encore les questions d’insertion professionnelle. L’absence de coordination entre les citoyens et les associations locales en passant par les acteurs institutionnels a accentué la pression sur les hébergeurs les laissant isolés, contraints de faire face seuls à tous les aspects du quotidien. Un sentiment qui s’accompagne d’une méconnaissance des aides existantes.
Le départ des réfugiés ukrainiens des familles d’accueil ne résulte pas uniquement d’un essoufflement des capacités d’accueil. Il s’agit en majorité d’un choix personnel de la part des réfugiés de rejoindre des pays plus proches de l’Ukraine tels que l’Estonie ou encore la Pologne, ou les diasporas ukrainiennes sont plus présentes, ou de retourner en Ukraine. Il peut également s’agir d’une volonté d’être pris en charge par les services de l’État afin de s’assurer une meilleure autonomisation et un logement indépendant.
L’accueil de réfugiés ukrainiens en milieu rural pourrait permettre à ces communes de se dynamiser. L’hospitalité en milieu rural est un moyen pour ces communes de redonner une dynamique démographique au territoire. Plusieurs éléments allant dans ce sens ont pu être observés sur le terrain et c’est également ce qui a été mis en avant par le programme de recherche Camigri. Néanmoins, il faudrait être en mesure de rendre l’accès aux transports plus simple pour soutenir ce dynamisme.
Autant d’éléments qui questionnent l’action sociale et humanitaire pour maximiser les avantages de la solidarité en milieu rural en identifiant les facteurs de risque de tensions sociales et les opportunités pour décharger les populations accueillantes.
Comment envisagez-vous que vos résultats puissent être mis en pratique pour générer un impact réel et positif au sein de la société, et quelles implications cela pourrait-il avoir sur les initiatives d’innovation sociale à l’avenir?
Les résultats de la recherche mettent en avant de nouvelles idées pour décharger les citoyens et faciliter l’accueil de réfugiés dans les campagnes. Parmi ces suggestions, on trouve la mise en place d’un service de navettes solidaires entre les villes et les communes rurales ainsi que des interventions ponctuelles humanitaires sur le terrain : services de santé (dentiste, dépistage, soins généraux, etc.) ou de régularisation de démarches administratives.
La recherche souligne par ailleurs la nécessité d’un tiers et de l’intervention d’acteurs extérieurs pour proposer et fournir un cadre, un soutien et des informations pertinentes devant permettre aux hébergeurs de répondre à leurs besoins spécifiques mais aussi aux besoins des réfugiés de manière plus efficace pour continuer à accueillir dans de bonnes conditions et dispositions. Des efforts de coordination à l’échelle locale et régionale pour mieux structurer l’accueil en milieu rural des réfugiés doivent être poursuivis, en garantissant une répartition plus équitable des responsabilités envers les réfugiés entre les citoyens et l’Etat.
En guise de derniers mots, la recherche en sciences sociales devrait accorder une plus grande attention au milieu rural. Pendant longtemps, le milieu rural a souvent été négligé dans les recherches sur les migrations internationales. Pourtant, de nombreuses recherches récentes montrent qu’il offre pourtant un terrain riche de réflexions sur les capacités citoyennes et géographiques d’intégration des flux migratoires ainsi que sur des politiques et stratégies plus adaptées aux réalités de ces territoires.
En savoir plus sur le projet de recherche de Jordan PINEL ici.