© Towfiqu Barbhuiya
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Créé en 2010, à l’initiative de Martin Hirsch et Emmanuel Faber, l’Action Tank est une association reconnue d’intérêt général réunissant des entreprises, des acteurs publics, des associations et le monde académique autour d’un objectif commun : contribuer à la réduction de la pauvreté et de l’exclusion en France. Le 26 janvier prochain, l’Action Tank sort son étude sur la double pénalité de pauvreté.

Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie la “double pénalité de pauvreté” ? Quels sont les mécanismes sous-jacents conduisant à ce phénomène ?

Emilie Dussauge La « double pénalité de pauvreté » désigne le fait que les ménages pauvres doivent, en plus de subir un pouvoir d’achat plus faible, payer un même bien ou service plus cher par unité de consommation que le consommateur « médian », non pauvre.

Plusieurs mécanismes sous-jacents, liés aux modalités de consommation des ménages et structures de marchés, sont à l’origine de la double pénalité de pauvreté. Par exemple, on constate que le prix du kWh de gaz est plus élevé pour les petits consommateurs, parmi lesquels on trouve souvent des ménages très modestes. Ce surcoût est lié à un effet de volume, avec des coûts fixes qui pénalisent les ménages pauvres car ceux-ci consomment des plus petites « quantités ». Si l’on se penche sur l’assurance habitation, on observe que des surprimes sont appliquées en fonction du lieu de résidence. C’est un effet de la prise en compte de la localisation pour établir la sinistralité, qui pénalise les ménages pauvres ne pouvant pas accéder au logement dans des localisations jugées moins risquées.  

Ces mécanismes à l’œuvre diffèrent en fonction des catégories de dépenses, et peuvent dans certains cas se combiner, renchérissant ainsi la double pénalité.

Si le phénomène de double pénalité de pauvreté est déjà bien connu dans des pays tels que le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, il a été peu étudié à ce jour en France. C’est pourquoi l’Action Tank et La Banque Postale, en partenariat avec le Boston Consulting Group (BCG) ont souhaité en 2022 passer au crible ce phénomène de double pénalité en conduisant une nouvelle étude (la première menée en France sur ce sujet depuis 2011, à notre connaissance), dont les résultats seront présentés lors d’un évènement que nous organisons le 26 janvier prochain.

Quelle est l’ampleur de la double pénalité de pauvreté aujourd’hui en France ?

Emilie Dussauge – En 2022, en France, on estime que la double pénalité brute annuelle s’élève à 1 536€, soit 8,7% des dépenses.

Pour estimer cette double pénalité brute, c’est-à-dire le surplus que les ménages pauvres paient par rapport aux ménages non pauvres, nous avons étudié plusieurs catégories de dépenses – dont par exemple les transports (consommation de carburant, entretien de véhicule, etc.), où l’on estime la double pénalité brute moyenne à +312€ (soit 13,5% des dépenses) sur une année. D’autres catégories de dépenses, comme le logement (loyers et charges liées au logement), les assurances ou le remboursement de crédits, ont également été étudiées.

Certaines aides permettent de réduire ces effets à 96€ de double pénalité nette annuelle soit 0,6% des dépenses. A titre d’exemple, on peut citer l’effet de réduction de la double pénalité qu’ont des aides telles que l’APL ou le « chèque énergie » sur les dépenses liées au logement (loyer et charges). Néanmoins, selon leurs profils et capacité à bénéficier ou non de ces aides, de nombreux ménages sont confrontés à une double pénalité nette qui peut atteindre plusieurs milliers d’euros par an. Dans l’étude 2022, nous avons ainsi étudié différents « profils » spécifiques de ménages, pour mieux rendre compte de la réalité d’une double peine éprouvée. 

Comment peut-on lutter contre ce phénomène ? Quelles sont les solutions existantes ?

Emilie Dussauge – Pour lutter contre la double pénalité de pauvreté, il est tout d’abord crucial d’obtenir une bonne connaissance de ce phénomène économique, et notamment d’améliorer la mesure de l’intensité et de la répartition de cette double pénalité de pauvreté. Par exemple, mieux comprendre quelle part des ménages à faibles revenus subissent une double pénalité nette très élevée (supérieure à 10% de leurs dépenses), et connaître les profils de ces ménages les plus durement affectés, permettrait de construire des réponses adaptées et ciblées.

Les entreprises opératrices de certains des biens et services sur lesquels une double pénalité est mise en lumière peuvent jouer un rôle dans la lutte contre ce phénomène, en développant des offres inclusives qui ont un effet de réduction de la double peine brute pour les clients de ces biens et services.

Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer. D’une part, en mettant en place des règlementations protégeant les clients les plus fragiles, qui permettent de réduire la double pénalité brute. D’autre part, au travers d’aides ciblées qui permettent aux ménages éligibles de réduire leur double pénalité nette.

Enfin, la lutte contre le non-recours aux aides existantes par l’Etat, les collectivités, les acteurs associatifs, mais aussi les entreprises vis-à-vis de leurs salariés, ou les banques vis-à-vis de leurs clients, est également un levier de réduction de la double pénalité nette.

Pour cesser de faire payer à certains ménages deux fois le fait d’être pauvre, une combinaison de ces leviers doit être explorée et mise en place.

L’évènement (ouvert à tous et toutes) que nous organisons le 26 janvier prochain sera l’occasion d’aborder tous ces sujets. Interviendront notamment la Déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté, Marine Jeantet, ainsi que les deux co-présidents de l’Action Tank, Martin Hirsch et Emmanuel Faber.